Un débat houleux a vu le jour en France il y a peu, cela depuis que des parlementaires ont entrepris d’étudier un projet de loi visant à élargir l’offre des jeux d’argent en ligne. Des spécialistes en problèmes d’addiction aux jeux d’argent sont montés au créneau, affirmant que la validation d’un tel projet nuirait considérablement au projet de l’État consistant à prévenir toute forme de jeu problématique.
Plusieurs facteurs militent contre une plus grande ouverture de l’offre de jeux en ligne
Un projet de loi prévu pour le mois d’octobre sera étudié par les parlementaires français, le but étant de réguler les jeux d’argent en ligne en France. Dans ce contexte, quatre socio-épidémiologistes et addictologues ont sonné l’alarme quant aux dangers d’un éventuel développement des jeux d’argent plus addictif dans le domaine de la santé publique. Ceux qui sont favorables à un élargissement de l’offre légale de jeux en ligne en France, et en particulier de la mise en fonction des casinos en ligne légaux sont caractérisés par un lobby actif en permanence. Certains parlementaires sont actuellement aux avant-postes pour changer la donne afin de permettre aux opérateurs de bénéficier d’une importante manne, ce qui, pour les professionnels et chercheurs qui travaillent sur la prévention des pratiques problématiques des jeux d’argent, est une aberration.
Le fait que les nécessités de santé publique n’aient pas été prises en compte est, selon les chercheurs, une raison suffisante pour prendre position. Ils ont également évoqué les questions des liens complexes de l’industrie européenne des casinos en ligne avec le crime organisé tels que développés par un reportage récent d’Arte, mais ont choisi de ne se concentrer que sur l’argument de santé publique. À en croire les spécialistes, les jeux de casino en ligne représentés par les machines à sous digitales rassemblent tous les facteurs de risques d’addiction, à savoir la rapidité du résultat, la fréquence élevée des mises, la grande occurrence des petits gains ainsi qu’un important taux de retour au joueur. Tous ces facteurs sont en effet efficaces pour créer une dépendance beaucoup plus rapide que toutes les autres catégories de jeux, surtout si on y associe les prises de risque solitaires, continues et rapides, qui ont lieu toutes les trois et quatre secondes, sans délai entre une partie et la suivante.
Un investissement énorme aurait été consenti par l’industrie dans la conception technologique ; les développeurs s’attèlent à retenir les joueurs le plus longtemps possible sur les appareils, tandis que les architectes mettent en place des labyrinthes et un environnement à l’intérieur duquel il est possible de se perdre jusqu’à épuisement de l’endurance et des fonds. Les experts pensent que cet univers de jeu numérisé, avec ses airs de raffinement, développe chez les joueurs des pensées irrationnelles auxquelles ils s’accrochent obstinément ; lesdites pensées poussent ceux-ci à miser encore et encore, contre toute forme de logique. Bien qu’étant en ligne de mire, le jackpot n’est que rarement atteint. Les petits gains et les jackpots apparents donnent une illusion de victoire, surtout lorsqu’ils sont manqués de justesse. Tous ces éléments font du jeu sur machine à sous une véritable drogue.
Une meilleure canalisation de l’offre de jeux comme solution ?
L’enquête qui a été réalisée en France dans le cadre d’une recherche internationale en rapport avec le jeu d’argent en ligne (projet eGames) a révélé que ces jeux attirent la plupart du temps les joueurs les plus vulnérables. Dès lors, 45 % des adeptes de jeux de casino en ligne sont répertoriés comme joueurs excessifs, car produisant 65 % du chiffre d’affaires, 80 % si on y associe ceux qui manifestent des pratiques à risque. Une étude comparative avec le Québec et l’Allemagne fournit des proportions équivalentes pour ces pays. En d’autres termes, 80 % du chiffre d’affaires des jeux de casino en ligne est issu du portefeuille de personnes en mal avec leur pratique. Par conséquent, le modèle économique de ces jeux ne serait pas viable sans eux.
Les spécialistes recommandent pour une meilleure protection des joueurs une canalisation de l’offre illégale vers l’offre légale ainsi que la mise en place d’un nouveau secteur d’activité créateur d’emplois et de taxes pour l’État. Une demande en croissance exponentielle justifierait la canalisation de l’offre, dans la mesure où l’enquête nationale évoquée plus haut a révélé que la diffusion des jeux en question ne concernait que 200 à 300 000 personnes, loin de ladite croissance. Ils estiment en outre que dans le but d’assurer sa sécurité, la nouvelle offre de jeux devrait être accompagnée de certaines mesures, mais reconnaissent que ce n’est pas chose aisée, en particulier pour les jeux qualifiés de crack ou cocaïne des jeux d’argent par les acteurs du champ des addictions au niveau international. Les jeux dont il s’agit comportent en effet de très fortes prévalences de problèmes générés par leur pratique.
La sécurisation de ces jeux ne nécessiterait par conséquent rien de moins qu’une interdiction ferme de toute forme de publicité ainsi qu’une limitation des mises et des dépôts, ce qui entraînerait fatalement la déconstruction de leur mécanisme addictif. Malheureusement, le cadre de régulation des jeux en ligne en vigueur se veut plus incitatif que contraignant pour la majorité des mesures de protection, hormis la protection des mineurs. C’est la raison pour laquelle plusieurs formes de jeu d’argent très addictives sont autorisées à mener des campagnes publicitaires.
Défendre des intérêts, mais pas au détriment de la santé des consommateurs
Les experts s’attendent à ce que des lobbyistes montent au créneau pour dénoncer des conditions d’exploitation contraignantes ne leur permettant pas de faire concurrence aux opérateurs illégaux une fois que cette légalisation sera activée. Ils pourraient même évoquer un traitement arbitraire par rapport aux autres formes de jeux en ligne. Bien que la capacité de dépense des Français dans les jeux d’argent fasse l’objet d’une croissance régulière en dépit des périodes de crise, elle a ses limites, préviennent les spécialistes. C’est pourquoi l’hypothèse de la création d’un nouveau créneau d’activité pourrait s’apparenter à un leurre.
Ces derniers penchent davantage pour la possibilité que la croissance de ce nouveau créneau se fasse au détriment des autres jeux, entraînant ainsi une sorte de déséquilibre. Ils précisent toutefois qu’il n’est pas question de défendre une filière par rapport à une autre, mais de prévenir toutes promotions des activités à fort potentiel d’addiction, ceci afin de réduire et réguler les risques.
Depuis 2010 et depuis l’autorisation d’une offre légale de jeux en ligne, les comportements problématiques de jeu ont connu une évolution inquiétante, quasi multipliée par 3 en seulement 10 ans, plus perceptible chez les jeunes majeurs. L’État français affirmait en 2019 l’impératif de prévenir toute forme de jeu excessif et a joint l’acte à la parole en créant une Autorité nationale en charge des jeux qui, depuis lors, s’évertue à concrétiser cet objectif. Les experts pensent que l’élargissement de l’offre des jeux en ligne mettra du plomb dans l’aile de ce noble projet.
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